#Extension labyrinthe /// exposition collective /// du 06 juillet au 04 novembre 2018 /// Chartreuse, Villeneuve-lez-Avignon (30) FR
Abdelkader Benchamma, Hervé Beurel, Thibault Brunet, Yasuhiro Chida, Philippe Decrauzat, Laetitia Delafontaine et Grégory Niel, Véronique Joumard, Émilie Losch, David Renaud, Jean-Claude Ruggirello, Apolonija Šušteršič et le regard de Caroline Guiela Nguyen, autrice. Commissariat la Chartreuse-CNES et le Frac Occitanie Montpellier, conseil artistique Émilie Losch
En découvrant le travail d’Émilie Losch réalisé in situ à la Chartreuse et dans Villeneuve lez Avignon, il a été décidé non seulement de prolonger l’exposition Le lisse et le strié, mais aussi de lui offrir de nouveaux développements en invitant aux côtés des Colosses, minotaures cachés dans les cellules de la bugade de la Chartreuse, d’autres œuvres issues de la collection du Frac Occitanie liées au thème du labyrinthe.
#Extension labyrinthe traite des notions de perte de repères, de recherche de jalons, de parcours initiatique et d’architecture au travers d’œuvres de supports divers dans un lieu lui même considéré comme un dédale. Cette exposition souhaite permettre aux visiteurs de vivre l’expérience du labyrinthe sous toutes ces acceptations, notamment en suivant les mots de Caroline Guiela Nguyen qui nous accompagnent d’une œuvre à l’autre.
L’extension concerne aussi les partenariats puisqu’une nouvelle structure rejoint l’aventure : Echangeur22, qui accueille des artistes plasticiens en résidence de recherche et de création à Saint-Laurent-des-Arbres. Ainsi, Yasuhiro Chida, artiste japonais, est invité dans le cadre de son séjour gardois à investir l’espace de la salle capitulaire par la création d’une œuvre immersive et cinétique.
Production Frac Occitanie Montpellier, la Chartreuse-CNES. En partenariat avec Echangeur22.
#Extension Labyrinthe
« Le mot labyrinthe est riche de sens. Il désigne à la fois l’organisation spatiale complexe que l’on peut retrouver dans l’architecture, l’urbanisme, le paysage ou les jardins, et la structure abstraite que peut représenter notre façon de penser ou une dialectique de la pensée.
Si l’on se réfère à la mythologie et à l’histoire de l’Antiquité, le labyrinthe est un vaste réseau de salles, de galeries enchevêtrées et d’impasses, construites de manière à égarer celui qui aurait le malheur d’y entrer. En latin, labyrinthus signifie « enclos de bâtiments dont il est difficile de trouver l’issue ».
Si le labyrinthe est l’endroit où l’on se perd, il est aussi intimement lié à l’espace clos, la prison. Celle-là même conçue par Dédale pour y enfermer le Minotaure, avant qu’il ne le soit à son tour avec son fils Icare.
L’ironie du sort faisant que le créateur se retrouve emprisonné dans sa propre création n’est pas sans nous interpeller et nous rappeler la folie qui peut parfois nous aliéner à nous-même… Il semblerait d’ailleurs que la forme architecturale complexe du labyrinthe soit à l’image de celle que peut prendre le cheminement initiatique vers la connaissance de soi, et que, en tant que telle, elle soit une sorte d’archétype universel.
On sait que les premiers tracés de labyrinthes sont apparus à la Préhistoire et que depuis, les hommes n’ont cessé de les dessiner, les inscrivant la plupart du temps dans des lieux sacrés, grottes, temples, mausolées, ou églises. On sent bien ici la force spirituelle d’une telle figure…
Le labyrinthe c’est la mort, la possibilité d’égarement, mais c’est aussi le symbole du fil conducteur et de la quête du centre, celle qui nous permettra une fois les épreuves achevées d’en sortir dans un état supérieur de conscience. Le labyrinthe c’est en quelque sorte l’homme face à lui-même et face à l’univers.
Augmentée d’un partenariat avec la structure Echangeur 22, l’exposition #Extension Labyrinthe a été conçue par la Chartreuse et le FRAC Occitanie Montpellier comme une prolongation de l’exposition Le lisse et le strié.
Cette exposition personnelle abordait déjà au travers de fils d’Ariane, de vues d’Icare, de mandalas tridimensionnels, d’escaliers sans fin, de chimères et de constructions mentales enchevêtrées, les questions gravitant autour du labyrinthe. Avec des œuvres aux dispositifs spatiaux, visuels et sonores pouvant paraître éloignés les uns des autres, la nouvelle exposition collective explore d’autres perspectives intrinsèques aux méandres de cette figure universelle.
L’exposition #Extension Labyrinthe se déploie dans l’Église, la Salle Capitulaire, la cellule du Sacristain et dans le bâtiment dit de la Bugade. Ce dernier endroit est un espace particulier de la Chartreuse, non seulement car il est situé aux limites reculées du monastère, mais aussi car il est à la fois, l’ancienne blanchisserie et l’ancienne prison. On y trouve même une cellule du fou.
Certains des Colosses de l’exposition Le lisse et le strié, seront d’ailleurs toujours à surprendre, au détour d’une salle ou d’un couloir. Hybrides d’architectures industrielles et d’animaux, ils sont ainsi dans ce deuxième temps d’exposition comme des chimères similaires au Minotaure, leur « monstruosité » répondant à celle de l’architecture hors-norme de la Chartreuse.
Ces états de fait faisaient quoi qu’il en soit de la Bugade le lieu idéal pour développer le projet, les autres espaces venant rythmer en contrepoint la déambulation dans l’espace.
De Tony Smith à Andy Warhol en passant par The Velvet Underground, la sculpture Melancolia de Philippe Decrauzat située au début du parcours d’exposition est le fruit d’un cheminement de pensée hybride, faisant de multiples allusions et références discrètes à l’histoire de l’art et à la culture Pop Rock. Sa forme de rhomboèdre tronqué est notamment une mise en volume de l’élément représenté dans la fameuse gravure énigmatique du même nom, réalisée par Albrecht Dürer en 1514. Lui-même se référant à l’astrologie, à l’alchimie, la géométrie et la mesure, et créant autant de ponts possibles vers le symbole mystique du labyrinthe.
Dans Il essayait d’arrêter, Abdelkader Benchamma nous met face à une nuée de mots qui gravitent autour de son personnage dessiné et nous emmène avec lui dans la tourmente des pensées qui parfois nous assaillent. Ses immenses formes dessinées Sculptures #1, #2, #3 nous confrontent quant à elles à une menace impalpable, à un sentiment d’étrange obscurité. Le labyrinthe nous frappe ici comme le paysage d’une possible catastrophe en suspension, une forme à la fois maîtrisée et irrationnelle qui affleurerait à la surface de notre subconscient.
Avec la série des Collections publiques Hervé Beurel collecte par la photographie les motifs géométriques abstraits ornant certaines façades d’immeubles modernes. La démarche plastique déplace ici le site réel dans un ailleurs et porte une réflexion sur ce qui reste des utopies passées dans le paysage urbain standardisé. Peut-être ces images de béton et de mosaïques deviendront-elles dans un futur prochain la trace de ruines disparues, appartenant dès lors à la mythologie et à l’histoire de l’humanité ?
Dans un autre style, la peinture murale Archipel Crozet de David Renaud renvoie à l’idée de l’île comme territoire de fantasme et de mystère. On se rappellera d’ailleurs que le labyrinthe de Dédale se trouve quelque-part sur une île en Méditerranée. Sans détails ni légendes pouvant permettre au spectateur d’ancrer le lieu dans la réalité, celui-ci se retrouve cependant face à l’île entourée de son aplat bleu comme face un grain de sable perdu dans l’univers. Il se met alors à accéder à un autre espace de pensée, à s’immerger lui-même dans un état de méditation propre à la quête spirituelle.
A propos de cartes, Les radiophares de Marcel Dinahet abordent l’idée du déplacement comme un programme visant à s’abandonner à l’inconnu. Lorsque l’artiste prépare son parcours et envisage de se rendre à certains endroits de l’Atlantique nord, c’est dans l’esprit de s’éloigner du centre et des centres, d’aller en bordure et aux extrémités du monde, aux points de rupture à la fois physiques et mentaux qui permettront de franchir comme des épreuves successives les étapes d’une réflexion sur ce qu’est soi, sur ce qu’est le monde, sur ce qu’est l’art.
Le travail de Thibault Brunet avec sa série Landscape, s’échappe de son côté dans les méandres du jeu vidéo Call of Duty et interroge notre rapport au réel. A l’instar de la forteresse qui enfermait le Minotaure, le monde fictif est ici limité au seul cadre imaginé par le concepteur du jeu. L’artiste nous propose alors via ses photographies des preuves de son périple et du temps passé dans le labyrinthe d’une réalité virtuelle parmi d’autres.
De l’expérimentation spatiale virtuelle ou concrète, un glissement vers l’expérimentation abstraite du temps s’opère avec l’Horloge de Véronique Joumard. L’expérience du temps est indissociable du labyrinthe dans le sens où l’on sait quand on y rentre mais où l’on ne sait pas quand on en ressortira. L’œuvre de Joumard rend visible le défilement du temps et force notre regard à observer la course des heures, minutes, secondes, dixièmes et centièmes de secondes. Cette dissection froide nous ramène à notre condition mortelle qui ne peut pourtant que rester abstraite à nos yeux.
Avec l’installation La goutte, Yasuhiro Chida évoque à son tour et avec poésie le temps qui s’écoule. Le dispositif, mettant à l’œuvre l’eau et la lumière, nous rend audible par là même le son des gouttes qui tombent sur le sol et qui vient par un phénomène acoustique simple révéler le volume de l’espace environnant. Ce son nous évoque naturellement les espaces humides, comme les grottes ou les tunnels immémoriaux qui jalonnent notre imaginaire, et résonne alors avec le dédale de nos pensées. Au-delà d’une sensation légèrement angoissante, l’oeuvre de Chida invite à la méditation et à la contemplation et se teinte de spiritualité.
Jean-Claude Ruggirello, avec l’installation son-vidéo Les amis de mes amis, nous fait expérimenter une sorte d’espace-temps impossible où les différents plans haut-bas-gauche-droite sont mis au même niveau. Ne serait-ce pas ce que l’on doit éprouver lorsque l’on se retrouve dans les détours et les circonvolutions du labyrinthe, physique ou mental ? Cet espace paradoxal proposé par l’artiste nous immerge alors dans une sorte de rêve éveillé où la gravité terrestre et l’apesanteur ne feraient plus partie des lois régissant notre univers. Accentuée par le décalage son-images, une inquiétante étrangeté se dégage de l’œuvre, qui participe d’une expérience inversée de la réalité.
Il en va de même pour les quatre vidéos de MTV pour la Tourette réalisées par Apolonija Sustersic, qui jouent elles aussi sur le phénomène de décalage son-image et la sensation d’inquiétante étrangeté. Filmées au monastère de la Tourette, des images de paysage et d’architecture se mêlent à celles du musicien Kees van Zeist interprétant une composition lancinante de Xenakis. La logique de télescopage des lieux et des temporalités vient modifier l’expérience de l’espace, la diffusion de cette vidéo dans l’une des cellules de la Chartreuse s’en faisant un troublant écho.
Enfin, Le 7ème continent de Delafontaine et Niel s’inscrit pour sa part dans une démarche d’expérimentation de l’espace qui fait intervenir architecture, cinéma et nouvelles technologies. Le 7ème continent est un espace en perpétuelle mutation, en constant devenir. Comme l’archipel peint par Renaud, il évoque un territoire fantasmé, un potentiel d’échappement. Comme les vidéos de Ruggirello et Sustersic, il évoque une zone de fuite où s’entrechoquent la réalité et la temporalité d’un lieu donné et celles d’une fiction filmée. Si les mouvements de l’œuvre dans l’espace sont en effet paramétrés à partir d’une analyse précise image par image du film Casanova de Fellini, leur lenteur contraste pourtant avec l’apparente modernité du dispositif mécanique. Ce décalage volontaire peut nous évoquer le déplacement à tâtons, tel celui que l’on pourrait pratiquer par manque de repère et de connaissance dans l’obscurité d’un labyrinthe.
Le cheminement dans l’exposition #Extension Labyrinthe se pratique ainsi avec l’idée de mettre en abîme la notion de labyrinthe, de rester ouvert à ses multiples interprétations. L’un des plaisirs de l’art n’est-il pas de se laisser surprendre par l’œuvre elle-même au détour d’un chemin et de subtilement succomber à la nécessité de méditer sur soi et le monde ? Du questionnement sur l’espace et le temps, le jeu et le rêve, à la conscience de l’importance de l’art et de la culture dans la construction de l’imaginaire de l’humanité, #Extension Labyrinthe espère emmener le visiteur dans une ballade à la fois spatiale et poétique, à la découverte ou redécouverte d’œuvres actuelles n’ayant de cesse de convoquer le réel et le merveilleux. »
Emilie Losch